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Pierre Chocquet vous invite à découvrir un extrait d' un de ses livres

 

 

 

 




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Les bruits des voitures passant sur la route située à 300 mètres de là arrivaient ouatés. Durant la nuit, une couche de 40 centimètres de neige était tombée. Paul dans sa grange dont le portail était ouvert à deux battants, aiguisait des couteaux sur la meule qu’il actionnait au pied. Ses couteaux n’avaient pas tellement besoin d’être aiguisés, mais il était impossible de travailler dehors, et Paul ne pouvait pas rester sans rien faire. Il ne savait pas. On ne lui avait appris que le travail, et s’il savait lire, c’était surtout pour pouvoir se tenir au courant des nouvelles locales en lisant le quotidien de la région. A vrai dire, il avait même poussé ses études jusqu’au bac, mais n’avait pas eu l’occasion d’évoluer. Il était agriculteur, sa condition lui donnait satisfaction, et il ne demandait pas autre chose à la vie. Par exemple, il ne lui serait pas venu à l’esprit de lire un livre, car pour lui, ce serait ne rien faire, et il aurait honte de lui-même s’il perdait son temps à lire. Paul ne se plaignait pas de son sort. A 28 ans, il était « son patron » comme il le disait fièrement. Depuis que ses parents étaient morts il y a 3 ans, il s’occupait seul de son exploitation agricole. Certes, quand les gendarmes étaient venus lui dire un petit matin, que ses parents, la veille au soir, s’étaient tués en sortant de la route avec la voiture qui était venue s’encastrer autour d’un chêne, il avait été malheureux et désemparé. Mais très vite, il s’était rendu compte qu’il était désormais le patron, que c’est lui et lui seul qui déciderait de faire telle culture dans ce champ, telle autre dans cet autre champ. Paul se considérait donc comme un favorisé. Pourtant, sa vie était bien monotone. Chaque année, un cycle de travaux, toujours les mêmes se succédaient, et chaque année ne se différenciait de la précédente que par le fait que les récoltes avaient été meilleures ou moins bonnes. C’était un assez bel homme de plus de un mètre 80 au visage aux traits fins, à la physionomie un peu sévère, et dont la voix grave aurait pu être, avec un peu plus de distinction chaude et prenante. Des voisins, quelquefois lui disaient : « Alors, Paulot, c’est pour quand la noce » ? Mais lui, haussait les épaules. Se marier ? Pour quoi faire ? Il se débrouillait bien tout seul pour tenir sa ferme, et lorsqu’il lui arrivait de passer devant les fermes de ses beaux conseilleurs, il entendait souvent des cris et des engueulades qui prouvaient que la vie de couple ne devait pas être très drôle. Cependant, Paul était un homme normal, et comme tous les hommes normaux, il avait besoin de temps en temps « d’aller voir les filles » Il avait ses habitudes. Depuis ses 15 ans, il allait à la ville ou il avait le (là encore, il était le patron) entre trois ou quatre filles qui moyennant un peu d’argent (elles travaillaient, Paul trouvait normal de les payer) lui remettait son compteur libido à zéro. Dans tous les domaines, il était le chef. Il venait de terminer l’aiguisage du grand couteau exclusivement réservé à la découpe du jambon, lorsqu’il entendit une voiture qui avait du s’engager sur son chemin et venait donc chez lui. Paul n’avait pas souvent de visite, sauf le facteur qui apportait le journal et de temps en temps une lettre administrative. Mais il était trop tôt pour que ce soit le facteur. Qui donc pouvait venir, surtout le seul jour de l’année sans doute ou une grosse chute de neige avait eu lieu. Il n’eut pas trop à attendre une réponse à sa question. Une voiture s’arrêtait dans la cour de la ferme et un homme « de la ville » en descendit aussitôt et s’avança vers lui. – Vous êtes Paul Carré ? – Oui. C’est à quel sujet ? Ce sera un peu long à vous expliquer, et avec ce sale temps… Pourrions nous entrer ? Sans répondre, Paul se dirigea vers la porte d’entrée, suivi par l’inconnu. Asseyez vous. Je vais me laver les mains, je reviens tout de suite. Lorsque Paul revint dans la cuisine-salle de séjour, l’homme s’était assis dans un fauteuil devant un magnifique feu dans la cheminée. Il se frottait les mains. – Pas chaud aujourd’hui, il est rare dans notre pays d’avoir autant de neige. Votre cheminée est bien agréable. – C’est exact. Mais je suppose que vous n’avez pas bravé le mauvais temps pour me parler météo. – Vous avez raison. Je ne me suis même pas présenté. Lui tendant sa carte, il ajouta : – Pierre Bernier. Je suis détective privé. – Détective privé ? Je me demande pourquoi vous vous intéressez à moi ? – Je viens vous parler de votre père. – Mon père ? Il est mort. Depuis trois ans. – Je sais, je sais. Il s’est marié très jeune, vous le savez ? – Oui et alors ? – Bon. Je vais vous raconter toute l’histoire. Votre père a été incorporé au 11e B.C.A. à Barcelonnette. A sa première permission, il s’est marié avec votre mère. Cependant, il avait fait la connaissance d’une jeune fille à Barcelonnette, Hélène, avec laquelle il a eu une liaison. Après la libération de votre père la jeune fille s’est rendue compte qu’elle était enceinte. Elle a écrit à votre père pour lui dire qu’elle attendait un enfant, mais il s’est contenté de lui répondre qu’elle pouvait compter sur lui pour qu’il l’aide matériellement si nécessaire. Comprenant qu’il ne voulait pas vraiment assumer sa paternité, elle ne lui a plus écrit, et a pris la décision d’élever seule son enfant. Ce fut une file : Jeanne. Une femme remarquable, la mère, n’est ce pas ? Lorsque la petite a eu 18 ans, sa mère lui raconta toute l’histoire, mais exigea, qu’elle vivante, sa fille s’engage à ne pas rechercher son père. La mère, Hélène, est morte il y a un mois. La jeune fille, Jeanne, déliée de son serment, décida de rechercher sa famille naturelle. Elle me confia cette mission, et j’ai pu lui annoncer le décès de son père et votre existence. Pour arriver à ces résultats, je n’ai pas eu beaucoup de difficultés. Jeanne avait trouvé dans les papiers de sa mère, deux ou trois lettres de votre père qui demandait des nouvelles de son enfant, lettres auxquelles Hélène n’avait jamais répondu. Certes, il n’y avait pas d’adresse, mais avec le nom, et les archives du bataillon de chasseurs Alpins, je suis parvenu à vous retrouver. Aujourd’hui, Jeanne sait donc que son père qui était aussi le votre, est mort. Mais comme elle sait qu’elle a un demi frère, elle veut faire sa connaissance. Voilà.